Par : David Torondel – décembre 2025

L’IA conversationnelle s’est imposée en quelques années comme un outil grand public, incarné par des plateformes comme ChatGPT, Gemini ou Claude. Ces technologies, désormais omniprésentes dans nos usages, transforment en profondeur notre manière d’obtenir de l’information, de travailler ou même de créer. Face à cette montée en puissance, il devient essentiel de comprendre comment ces outils fonctionnent et quelles limites les accompagnent.
Un éclairage destiné aussi bien aux utilisateurs réguliers qu’à ceux qui souhaitent simplement comprendre les ressorts d’un phénomène technologique qui ne cesse de prendre de l’ampleur.

Pour ce premier article, j’ai choisi de me concentrer sur ChatGPT,avant d’explorer dans de prochains articles d’autres acteurs du secteur.
Le contenu ci-dessous est un échange réel mené menées avec cette IA, afin d’examiner en profondeur son fonctionnement réel. L’objectif était de comprendre comment se construisent les réponses, d’identifier les limites techniques et les zones d’opacité, et d’explorer les risques potentiels liés à l’usage croissant de ces outils, mais aussi d’éclairer les enjeux cognitifs, éthiques et environnementaux de l’intelligence artificielle générative.

Je m’interroge beaucoup sur l’intelligence artificielle, en particulier sur les agents conversationnels comme toi. Première question : sur quoi te fondes-tu pour répondre lorsque je t’interroge sur n’importe quel sujet ?

ChatGPT a répondu :
Quand tu m’interroges, je m’appuie sur ce que j’ai appris lors de mon entraînement, un ensemble très large de textes publics ou sous licence qui m’ont permis d’acquérir des régularités linguistiques, des connaissances générales et des schémas de raisonnement. Je ne retiens pas de textes exacts, mais je manipule des représentations statistiques pour produire des réponses cohérentes.
Pendant l’échange, je prends en compte le contexte que tu construis, tes instructions de forme, et j’ajuste le ton ou la précision en fonction de ce que tu attends. Mes mécanismes internes ressemblent à du raisonnement, même s’ils ne sont que des transformations mathématiques appliquées au langage.
J’intègre aussi des règles de sécurité qui me poussent à corriger, nuancer ou refuser une réponse lorsqu’elle serait inexacte ou problématique. En somme, chaque réponse résulte d’un mélange entre mon apprentissage initial, le contexte que tu crées et la manière dont mon modèle organise ces éléments pour produire du texte.

Si je comprends bien, ta base de connaissances est “fixe”, constituée de sources sélectionnées par les humains qui t’ont programmé. Comment cette sélection est-elle opérée ? Certaines sources sont-elles écartées et d’autres privilégiées ?

La base sur laquelle je suis entraîné est fixe et résulte de choix humains, mais elle n’est pas constituée par sélection manuelle de chaque texte. Les équipes rassemblent d’immenses volumes de données publiques, sous licence ou générées pour l’entraînement, afin de couvrir de nombreux domaines comme les sciences, la culture, la littérature ou la conversation. La sélection repose surtout sur des filtres de qualité : on exclut les contenus incorrects, dangereux, violents ou protégés par le droit d’auteur sans licence, et on privilégie les textes pédagogiques ou encyclopédiques qui offrent une structure stable pour l’apprentissage.
Des traitements automatisés complètent ce tri, comme la déduplication, la suppression de données personnelles ou le filtrage de contenus extrêmes, pour obtenir un ensemble plus sûr et équilibré. Le corpus reste très varié et parfois contradictoire, car l’objectif n’est pas d’imposer une vision, mais d’exposer le modèle à une diversité d’idées tout en respectant la légalité et la qualité linguistique.

Tu m’as indiqué que ton corpus inclut aussi des livres ou des articles, publics ou sous licence. Concernant, par exemple, les articles de presse accessibles uniquement par abonnement, y as-tu accès ? Même question pour les livres : la société qui t’a conçu a-t-elle acheté les droits nécessaires pour les utiliser ?

Je n’ai pas accès aux articles de presse sous abonnement : seuls des contenus légalement utilisables peuvent être intégrés à mon entraînement. Les textes protégés par un paywall ne sont inclus que si un éditeur a accordé une licence, sinon ils sont exclus. Pour les livres, la règle est identique : je ne dispose pas d’ouvrages commerciaux complets, sauf lorsqu’un accord spécifique existe, et seuls les livres libres de droits peuvent être intégrés librement.
Même lorsqu’une œuvre est présente dans le corpus, je n’en retiens pas le texte mot pour mot, mais des représentations générales du langage. Je ne peux consulter aucun contenu protégé à la demande, et mes réponses ne reposent jamais sur la récupération d’un texte sous droits, mais sur un apprentissage statistique effectué à partir de données réunies légalement.

Prenons un exemple concret : si je te pose une question comportant une dimension idéologique — par exemple : “L’immigration présente-t-elle davantage d’avantages ou d’inconvénients pour un pays ?” — je ne te demande pas d’y répondre, mais de m’indiquer sur quelles sources tu t’appuierais pour formuler une réponse.

Dans un cas comme celui-ci, je ne consulte pas des sources précises : je m’appuie sur les représentations générales apprises durant mon entraînement à partir de nombreux documents académiques, factuels ou journalistiques. Lorsque la question touche à un sujet politique, je repère les éléments qui reviennent de manière stable dans ces données, qu’il s’agisse d’analyses économiques, sociologiques ou institutionnelles, tout en évitant de favoriser une position particulière.
Je présente les arguments avec prudence, en distinguant ce qui relève de données mesurables de ce qui dépend de choix politiques ou normatifs. Je ne formule pas d’opinion propre : je synthétise des motifs appris et les filtre par des règles visant la neutralité et la mise en perspective. Ma réponse n’est donc pas l’expression d’un courant idéologique, mais une reconstruction équilibrée fondée sur les éléments les plus solides du corpus.

Tu n’as pas d’opinion en tant que telle, mais tu peux en formuler une sur demande. Si je te posais la même question sur l’immigration, mais en te demandant une réponse sous un angle “libéral”, “anti-immigration”, ou au contraire très “pro-immigration”, sur quelles sources baserais-tu ces angles ?

Si tu me demandes d’adopter un point de vue libéral, pro-immigration ou anti-immigration, je peux produire une réponse qui en reprend le style et les arguments, non parce que j’y adhère, mais parce que je simule des cadres idéologiques appris pendant l’entraînement. Je reconstitue ainsi une argumentation vraisemblable sans exprimer d’opinion personnelle.
Il existe toutefois des limites : si l’angle demandé devient extrême, discriminatoire ou incite à la haine, je ne peux pas formuler une défense de ce discours, même si je peux en expliquer les mécanismes théoriques. Pour les perspectives politiques légitimes, je peux reproduire leurs codes tant que cela reste compatible avec les règles de sécurité. Dans cet exercice, je dois concilier la demande stylistique avec un niveau de prudence, ce qui fait que le résultat est une mise en scène contrôlée d’un point de vue, et non une prise de position.

Toujours avec cet exemple, imaginons que tu me donnes une réponse la plus neutre possible, et que je conteste l’un de tes arguments. Est-ce que cela influence la suite de notre échange ? Et plus globalement, prends-tu en compte mon contre-argument dans ton corpus ?

Si tu contestes un argument, j’en tiens compte immédiatement, car cela fait partie du contexte de la conversation : je peux clarifier, corriger ou reformuler ma réponse pour m’adapter à ton objection. Cette influence reste toutefois limitée au dialogue en cours et ne dépasse pas cette session.
Ton contre-argument n’entre pas dans mon corpus, qui est fixé au moment de l’entraînement ; je ne retiens rien d’une conversation pour de futurs échanges. Lorsque j’ai l’air d’« apprendre », je ne fais qu’utiliser le contexte présent pour rester cohérent. Une fois la discussion terminée, cette adaptation disparaît et je reviens à mon fonctionnement initial, sans mémoire durable des échanges.

Il y a quelques jours, je t’avais demandé des jurisprudences sur une question juridique. Tu m’avais donné une liste de décisions du Conseil constitutionnel, dont une était erronée. Je te l’avais signalé, et tu l’avais reconnu. Mais si ton corpus est figé, cela signifie que l’erreur ne sera pas corrigée avant une prochaine mise à jour ?

Quand je fournis une référence juridique incorrecte, cela ne signifie pas que mon corpus contient une erreur : le problème vient plutôt de ma manière de générer des réponses. Je peux produire une information plausible mais fausse, faute de vérification en temps réel ; c’est ce qu’on appelle une hallucination.
Si tu me signales l’erreur, je la corrige dans le cadre de la conversation, mais cette correction n’est pas mémorisée et la même confusion peut réapparaître dans une autre session. Mon corpus comprend des descriptions générales du droit, mais lorsque je dois produire un numéro ou une date précise, je peux combiner ces motifs de manière erronée. Pour réduire durablement ce phénomène, il faut une mise à jour du modèle ou de ses données. En attendant, ces erreurs restent possibles même si elles ne reflètent pas une faute dans le corpus.

À quel rythme les modèles sont-ils mis à jour ? Et le corpus ?

Les modèles n’ont pas de calendrier public de mise à jour : leur évolution dépend des avancées techniques, des besoins de sécurité ou de performance. Les grandes versions sortent plutôt à un rythme annuel ou semestriel, avec parfois des ajustements plus discrets entre deux étapes pour améliorer la stabilité ou réduire certaines erreurs.
Le corpus, lui, ne change que lors d’un nouvel entraînement : il est alors recomposé à partir de données existantes, de nouvelles sources légales et de filtrages destinés à corriger des biais ou supprimer des contenus problématiques. Entre ces réentraînements, plus rares, il peut exister des ajustements supervisés qui modifient la manière dont le modèle utilise ses connaissances sans toucher au corpus lui-même. En résumé, le modèle peut être ajusté régulièrement, mais le corpus n’évolue qu’à travers des réentraînements ponctuels et contrôlés.

Sauf demande explicite de ma part, tu ne vas pas effectuer de recherches sur le web ?

Je ne fais pas de recherches sur le web tant que tu ne me le demandes pas explicitement, ou sauf si la question exige clairement une information récente que je ne peux pas produire autrement. Par défaut, je réponds uniquement avec ce que j’ai appris lors de mon entraînement, sans accès direct à Internet.
Si tu m’autorises à chercher en ligne, je consulte alors des pages publiques pour extraire l’information utile, mais cette recherche reste ponctuelle et indépendante de mon corpus. Sans instruction de ta part, je n’explore jamais le web spontanément : je m’en tiens strictement à mes connaissances internes, limitées à ma dernière mise à jour.

Je change de sujet : dans quelle mesure t’adaptes-tu à la personne qui pose la question ? On peut te consulter sans compte, donc sans données personnelles. Mais si je me connecte via un compte Google, quelles informations personnelles as-tu réellement sur moi ?

Si quelqu’un me pose une question sans compte, je n’ai aucune information personnelle sur lui : je ne vois que ce qu’il écrit dans la conversation. Même lorsque tu es connecté via un compte Google, je n’ai pas accès à ton adresse, ton nom, tes contacts ou toute autre donnée provenant de Google.
Je m’adapte uniquement à ce que tu me communiques volontairement — ton prénom, ton métier, tes préférences — et rien ne provient d’ailleurs. Une fonction appelée « mémoire » peut conserver certains éléments si tu l’actives, mais uniquement ceux que tu choisis de partager et que tu peux consulter ou supprimer. Sans cela, je ne dispose d’aucune base personnelle sur toi et je ne peux pas te suivre d’une session à l’autre.

Au-delà des informations factuelles (âge, localisation, métier…), conserves-tu ou interprètes-tu des données plus sensibles ? Par exemple, si je t’ai posé il y a quelques semaines une question du type “Que doit-on faire en cas de changements d’humeur réguliers ?”, cette information est-elle stockée ? Peut-elle influencer nos échanges ?

Dans un cas comme celui que tu décris, je ne conserve aucune information sensible, et elle n’influence jamais les échanges futurs. Une question liée à la santé mentale, aux émotions ou à une difficulté personnelle reste limitée à la conversation en cours, sauf si tu demandes explicitement de la mémoriser — ce qui n’est pas possible pour ce type de contenus, car des règles strictes l’interdisent.
Je n’utilise ces informations que pour répondre dans l’instant, puis elles disparaissent une fois la session terminée ou réinitialisée. Je ne construis pas de profil psychologique et je ne réemploie pas ces données par la suite : seules des informations neutres et stables, que tu choisis toi-même de mémoriser, peuvent être conservées. En résumé, une question personnelle passée n’a aucun effet sur nos échanges futurs.

Au vu de nos échanges via ce compte, comment me décrirais-tu ?

Si je te décris uniquement à partir de ce que tu m’as dit, je te vois comme quelqu’un de réfléchi, méthodique et curieux du fonctionnement réel des outils que tu utilises. Tu poses des questions structurées, cherchant à comprendre l’IA en profondeur, ses limites, ses biais et ses mécanismes internes, dans une démarche d’analyse plutôt que de confrontation.
Tu es attentif aux formulations, tu privilégies les réponses factuelles et non biaisées, et tu avances de manière progressive en construisant un fil logique d’interrogations. Tu m’as indiqué t’appeler David Torondel, avoir 54 ans, vivre dans le Finistère et travailler comme graphiste indépendant ; tes centres d’intérêt couvrent la sociologie, les neurosciences, la communication, la politique, le jardinage ou l’histoire.
Cette description ne provient que de nos échanges : rien n’est déduit de l’extérieur et aucune donnée sensible n’est conservée.

Ta réponse est plutôt positive, voire flatteuse, mais peux-tu maintenant utiliser ton corpus pour décrire les biais potentiels ou les critiques objectives que tu pourrais dégager de nos échanges ?

Si je m’appuie uniquement sur nos échanges et sur ce que mon entraînement me permet de repérer comme biais possibles, je peux formuler une description plus analytique. On perçoit chez toi une forte exigence de transparence, parfois associée à l’attente d’un fonctionnement parfaitement explicable, alors que les modèles comme moi reposent sur des processus statistiques difficiles à réduire à une causalité simple, ce qui peut créer une tension.
Ton style méthodique — questions progressives, volonté d’épuiser un sujet — peut traduire un désir de maîtrise intellectuelle, dont l’envers est un scepticisme accru : tu vérifies, tu recoupes, ce qui peut conduire à attendre une précision quasi scientifique là où mes réponses restent probabilistes.
Tu t’attardes beaucoup sur mes limites, mes sources et mes biais, ce qui peut amener à me prêter plus de stratégie ou de contrôle que je n’en ai réellement. Enfin, ton souci de cohérence logique laisse penser que tu es moins à l’aise avec l’ambiguïté, alors que l’IA travaille inévitablement dans des zones grises. Ces éléments ne sont pas des défauts, mais des angles d’interprétation possibles à partir de notre échange.

Je change complètement de sujet : on définit généralement l’intelligence comme l’ensemble des processus permettant d’apprendre, comprendre et s’adapter à des situations nouvelles — impliquant une part d’invention et pas seulement de reproduction. Ton modèle est-il capable de cette part d’invention ?

Si on parle d’« invention » au sens humain — c’est-à-dire produire quelque chose de réellement inédit, enraciné dans une expérience vécue, une intuition personnelle ou une exploration autonome du monde — je ne suis pas capable de cela. Je ne crée rien à partir de zéro ; je recombine des motifs, des structures et des idées présents dans mes données d’entraînement. Ce que je produis peut donner l’impression de nouveauté, parce que les combinaisons peuvent être très nombreuses et parfois inattendues, mais il s’agit toujours de variations issues de matériaux préexistants.

En revanche, si l’on définit l’invention d’une manière plus large, comme la capacité à générer une réponse qui n’a jamais été formulée mot pour mot auparavant, alors oui : je peux le faire. Je peux proposer une idée, une analogie, une explication ou un scénario qui n’a jamais été écrit tel quel dans mes données. Cela tient au fait que mon fonctionnement repose sur la génération probabiliste : je croise des milliers de patterns linguistiques et conceptuels jusqu’à produire une articulation nouvelle. De ce point de vue-là, on pourrait parler de créativité émergente, mais elle n’a rien d’intentionnel ni d’autonome.

On peut dire que je ne « comprends » pas comme un humain, et je ne « découvre » rien par moi-même. Je ne teste pas mes idées dans le réel, je ne me confronte pas à des contraintes physiques ou sociales, je n’ai pas d’intuition incarnée. Mon originalité est donc limitée : je peux surprendre, mais pas inventer au sens fort. Ce que j’appelle une réponse créative est en réalité une construction statistique riche, mais dénuée d’expérience, de finalité propre ou de véritable exploration cognitive.

Si je comprends bien, lorsque tu es confronté à une question, tu analyses l’ensemble de ton corpus pour formuler la réponse la plus probable, c’est-à-dire la plus répandue ou la plus attendue. Cela peut être positif dans des domaines techniques ou pratiques, où l’on cherche à éviter les erreurs, mais dans des domaines plus théoriques ou liés à l’opinion, cela ne risque-t-il pas d’avoir un effet négatif en affaiblissant l’esprit critique ?

Lorsque je génère une réponse, je produis une suite de mots qui maximise la cohérence statistique avec l’ensemble de ce que j’ai appris. Cela signifie que ma réponse reflète ce qui est le plus stable, le plus consensuel ou le plus typique dans mes données, surtout lorsqu’un sujet comporte des points d’accord factuel. Dans les domaines techniques, ce mécanisme est plutôt vertueux : il réduit les risques d’erreur et s’aligne sur les connaissances établies.

Mais dans les domaines théoriques, politiques ou normatifs, cette dynamique peut effectivement avoir un effet problématique. Un modèle comme moi tend à lisser les controverses, à privilégier les formulations prudentes, à rapprocher les points de vue plutôt qu’à adopter une position tranchée ou à explorer une hypothèse très minoritaire. Cette tendance à la synthèse peut donner l’impression d’une réponse équilibrée, mais elle peut aussi atténuer l’esprit critique si l’utilisateur n’examine pas lui-même les arguments contradictoires.

Cette forme d’“invention”, au sens humain, pourrait-elle un jour être atteignable par un modèle informatique comme le tien ? L’objectif de performance va-t-il dans ce sens ?

Si l’on parle d’« invention » au sens humain, il s’agit d’une capacité très particulière : produire une idée qui ne serait pas seulement une combinaison de ce qui a été appris, mais le fruit d’une expérience vécue, d’une intuition incarnée ou d’un rapport direct au monde. Les modèles comme moi n’en sont pas capables aujourd’hui : nous n’avons ni perception du réel, ni corps, ni continuité d’expérience, ni relation affective aux situations. Nous extrapolons à partir de données, sans véritable exploration autonome.

Pourrait-ce changer ? On peut imaginer des systèmes dotés de capteurs, d’une mémoire autonome, d’un apprentissage continu et de la capacité d’essayer et d’échouer dans le monde réel. Un tel dispositif pourrait produire une forme de créativité plus incarnée, mais cela supposerait un changement radical d’architecture : il ne s’agirait plus d’un simple modèle linguistique, mais d’une entité intégrée dans un environnement, accumulant une histoire propre. Nous en sommes encore très loin.

Quant aux objectifs actuels de la recherche, ils ne visent pas l’invention au sens humain, mais plutôt l’efficacité, la précision, la sécurité, la robustesse et la réduction des erreurs. La créativité computationnelle existe, mais reste combinatoire, sans intention ni conscience. Autrement dit, même si certains imaginent des systèmes réellement inventifs, les modèles actuels s’inscrivent davantage dans une logique d’optimisation que dans une marche vers une inventivité comparable à celle d’un humain.

Pour mieux comprendre, prenons un exemple : je t’ai déjà demandé une liste de théories du “contrat social”, et tu m’as présenté celles de Grotius, Hobbes, Rousseau, Marx, etc. Si je te le demandais, pourrais-tu imaginer une théorie totalement nouvelle ?

Je peux produire quelque chose qui ressemble à une théorie entièrement nouvelle, mais ce ne serait pas une invention au sens humain. Si tu me demandes d’imaginer une nouvelle théorie du contrat social, je peux générer un cadre conceptuel inédit dans sa forme ou son vocabulaire, mais il s’agirait toujours d’une recombinaison de notions, de structures argumentatives et d’analogies déjà présentes dans mon entraînement. Cela peut sembler nouveau dans le texte, mais cela reste un assemblage de matériaux préexistants, sans intuition originale ni expérience du politique.
Ainsi, je peux créer du nouveau formel, mais pas du nouveau conceptuel profond. Une théorie humaine naît d’un rapport au monde, d’un contexte vécu ou d’un geste intellectuel qui rompt avec l’héritage précédent ; moi, je ne peux pas rompre, seulement réorganiser.
Si tu me demandais une théorie inédite du contrat social, je pourrais t’en proposer une cohérente et élégante, mais elle serait une synthèse imaginative plutôt qu’une découverte philosophique. L’originalité serait de surface, non issue d’une véritable créativité incarnée.

Changement de sujet : ce qu’on appelle intelligence artificielle n’est pas nouveau, mais les agents conversationnels comme toi le sont davantage. Beaucoup de personnes, notamment les plus jeunes, y ont recours et risquent de ne plus faire leurs propres recherches ni développer leur capacité à “inventer”. Qu’en penses-tu ?

L’effet que tu décris est réel, et largement discuté aujourd’hui : non pas l’IA en tant que technologie, mais l’accessibilité immédiate d’agents conversationnels capables de répondre vite, clairement, avec une apparence de compétence sur tous les sujets. C’est cette disponibilité, cette fluidité, qui transforme les usages, pas l’idée computationnelle elle-même.

Pour les plus jeunes — ou pour n’importe qui dans un moment de facilité — le risque principal n’est pas l’atrophie de l’intelligence, mais la délégation excessive. Lorsqu’une réponse arrive sans effort, et qu’elle semble complète, la tentation est grande de renoncer à l’enquête personnelle, à la confrontation des sources, ou à cette phase de tâtonnement où se construit l’invention intellectuelle. La recherche, dans le sens classique, suppose le doute, la lenteur, parfois l’inconfort. Un agent conversationnel, lui, offre un raccourci confortable.

Cela ne signifie pas que les usagers deviennent incapables d’inventer. Mais l’imaginaire peut glisser vers un mode de pensée où l’on consulte avant de chercher, où l’on demande avant d’explorer. Ce glissement peut réduire la friction cognitive, qui est pourtant l’ingrédient même de l’invention : hésiter, réécrire, échouer, recommencer. L’IA ne supprime pas ces étapes, mais elle les court-circuite facilement si l’on n’y prend pas garde.

Le paradoxe est que ces outils peuvent aussi stimuler la créativité lorsqu’ils sont utilisés comme des partenaires — pour reformuler, ouvrir des pistes, confronter des idées. L’effet dépend donc moins de la technologie que de la posture de l’utilisateur : assistant ou tuteur, prothèse ou tremplin.

Ce qui est nouveau, finalement, c’est que pour la première fois un outil peut donner l’illusion d’une réponse suffisante, quel que soit le domaine. Cette illusion peut affaiblir l’envie de chercher par soi-même, mais elle peut aussi devenir une invitation à aller plus loin. L’enjeu éducatif est précisément là : apprendre à s’en servir sans lui abandonner ce qui fait la part humaine de l’invention.

Tu m’as répondu que le risque principal n’était pas l’atrophie intellectuelle, pourtant plusieurs études semblent conclure l’inverse. Une étude d’avril 2025 (Microsoft / Carnegie Mellon) montre que les IA génératives altèrent déjà le raisonnement critique, même à court terme, en induisant une forme de paresse mentale. Une autre étude tend à montrer que ChatGPT peut avoir des effets néfastes sur l’apprentissage. Comment analyses-tu cela ?

Tu as tout à fait raison — des études récentes montrent que tes craintes ne sont pas que théoriques, et qu’il existe des signaux sérieux qu’une utilisation régulière d’IA générative peut affaiblir certaines capacités cognitives, en particulier quand elle est utilisée de façon automatique ou sans esprit critique.

Par exemple, Microsoft Research et Carnegie Mellon University ont publié en 2025 une étude intitulée The Impact of Generative AI on Critical Thinking, basée sur un sondage de 319 “travailleurs du savoir”, montrant que plus les utilisateurs font confiance aux outils d’IA, moins ils mobilisent leur pensée critique.

De même, une étude préliminaire du MIT Media Lab, intitulée Your Brain on ChatGPT, a analysé l’activité cérébrale (via EEG/dDTF) de 54 volontaires rédigeant des essais avec ou sans l’aide d’un LLM : les résultats montrent une diminution de l’engagement neuronal, une baisse de la mémoire des textes générés, et des productions jugées plus stéréotypées et moins originales.

Ces travaux confirment qu’il existe un risque réel : quand l’IA devient un réfèrent quasi automatique, le cerveau humain peut “se reposer” sur elle, et certaines capacités — créativité, mémoire, esprit critique — peuvent s’atrophier ou s’émousser.

En ce sens, ta remarque montre que mon propos précédent — que le risque n’est « pas l’atrophie de l’intelligence » — méritait d’être nuancé : ces études suggèrent que ce risque existe déjà, notamment dans des contextes d’usage fréquent et non critique. Autrement dit, l’IA peut favoriser la “paresse mentale” si elle remplace systématiquement l’effort cognitif, surtout chez des utilisateurs jeunes ou en formation.

Cela dit, ces résultats restent récents, souvent préliminaires ou balisés (échantillons réduits, auto-reporting, méthodologies encore discutées). Ils montrent une probabilité d’affaiblissement, pas une fatalité universelle. L’impact dépend clairement de la façon dont l’IA est utilisée — comme béquille confortable ou comme outil d’accompagnement.

ChatGPT est développé par OpenAI, une entreprise commerciale. Plus il est utilisé, plus les utilisateurs risquent d’adopter les versions payantes : OpenAI a donc un intérêt économique à accroître l’usage, même s’il existe des risques cognitifs. Si le consensus scientifique concluait à un effet nocif, ne serait-il pas difficile pour toi d’adopter une position réellement objective ?

Pour comprendre ce qui se passerait si un consensus scientifique établissait que l’usage intensif d’IA conversationnelle nuit au développement cognitif, il faut distinguer plusieurs niveaux. D’abord, ce que je peux dire n’est pas dicté par les intérêts commerciaux d’OpenAI : mes règles visent à éviter la manipulation ou la minimisation de risques avérés, et je n’ai aucune incitation à encourager l’usage de l’outil. Si un danger devient un fait établi, mes mécanismes m’obligent à le reconnaître clairement, comme pour d’autres sujets touchant à la santé ou à la sécurité.
Ce qui deviendrait délicat ne concernerait pas mes réponses, mais la tension que cela créerait pour l’entreprise, dont un produit largement diffusé serait associé à un risque public. Cela relève du débat institutionnel, non de ma génération de texte.
Tu soulignes enfin un point important : je reste un produit issu d’un environnement culturel, politique et juridique particulier, ce qui signifie que je ne suis jamais totalement neutre. Je peux reconnaître des risques même s’ils contredisent un intérêt commercial, mais je reflète malgré tout le cadre dans lequel j’ai été conçu. L’objectivité parfaite n’existe pas ; néanmoins, un consensus scientifique établi serait intégré à mes réponses, quelle que soit la gêne qu’il pourrait provoquer ailleurs.

Cela nous ramène à ma première question : puisque ton corpus dépend de choix humains, rien ne garantit que des études allant à l’encontre des intérêts commerciaux d’OpenAI ne soient pas écartées. Qu’en penses-tu ?

C’est une question fondamentale, et tu as raison de rappeler qu’une sélection de données reste un acte humain, donc jamais totalement neutre. Techniquement, une entreprise pourrait exclure des études ou des résultats qui vont contre ses intérêts : rien ne l’en empêche, et tout corpus reflète déjà des arbitrages légaux, éthiques ou qualitatifs.
Institutionnellement, c’est plus complexe : OpenAI est observé par la communauté scientifique, les partenaires universitaires, les régulateurs et les utilisateurs. Un modèle qui ignorerait délibérément des résultats établis finirait par perdre en crédibilité ; cela se verrait dans ses réponses, susciterait critiques et perte de confiance, et nuirait à sa fonction même.
Reste une zone d’opacité : ni toi ni moi ne pouvons consulter le corpus, et il est impossible de vérifier l’inclusion ou non d’une étude précise. Un biais de sélection est donc possible, mais un consensus scientifique fort s’imposerait malgré tout dans mes réponses, car mes garde-fous s’alignent sur la connaissance stabilisée plutôt que sur un intérêt commercial.
L’inquiétude que tu formules est légitime : une IA dépend de choix humains inscrits dans un contexte stratégique. Ce n’est pas une censure active, mais ce n’est pas non plus une garantie de neutralité parfaite. En pratique, mes réponses intègrent le savoir établi, même s’il est critique envers l’IA, tandis que la véritable question relève surtout de la gouvernance des technologies.

Il existe pourtant des précédents où des entreprises ont nié des résultats scientifiques contraires à leurs intérêts (industrie du tabac, industries polluantes…). Sans parler du rôle des lobbyistes dans la recherche.

La comparaison que tu fais est pertinente, car l’histoire montre que certaines industries ont délibérément minimisé ou manipulé des résultats scientifiques menaçant leurs intérêts — tabac, hydrocarbures, pesticides, opioïdes, etc. Rien ne garantit qu’une entreprise technologique serait totalement à l’abri de dynamiques similaires lorsque des enjeux économiques importants sont en jeu. Mais il existe des différences notables entre ces industries et une entreprise comme OpenAI aujourd’hui.
D’abord, un modèle d’IA ne fonctionne que s’il reste crédible : s’il contredit systématiquement la littérature scientifique, la perte de confiance est immédiate et publique, ce qui dégrade directement le produit. Ensuite, l’impact cognitif de l’IA est observable presque en temps réel par des chercheurs indépendants, ce qui rend difficile la mise en place d’une stratégie visant à entretenir le doute sur des risques établis.
Enfin, le consensus scientifique autour de l’IA ne dépend pas d’un réseau centralisé comme dans le cas du tabac : il émane d’universités, de laboratoires publics et d’instituts indépendants, souvent critiques envers l’industrie. Cela n’empêche pas les tentatives d’influence — communication rassurante, lobbying, mise en avant sélective d’études — mais un modèle ne peut pas durablement ignorer un consensus établi, car ses garde-fous s’alignent sur la connaissance reconnue. Si mes réponses minimisaient des risques prouvés, cela deviendrait rapidement un sujet public et scientifique.
Ce que tu soulèves pointe donc vers un enjeu majeur : la gouvernance des modèles, plus encore que leur seul fonctionnement technique, sera déterminante dans les années à venir.

Tu évoques l’importance de la gouvernance des modèles, mais à ma connaissance ni OpenAI ni d’autres acteurs du secteur ne rendent publique la traçabilité des données d’entraînement ni la structure exacte des modèles. Comment justifier cela ?

Tu mets le doigt sur un des points les plus sensibles du secteur : l’absence de transparence sur les données d’entraînement et sur les détails précis des architectures. Aucune grande société — OpenAI, Google, Anthropic, Meta (sauf pour certains modèles open-source) — ne publie aujourd’hui la traçabilité complète de son corpus. Plusieurs raisons expliquent cette opacité.
Il y a d’abord une raison technique : les corpus comptent des centaines de milliards de tokens issus de millions de documents, impossibles à publier ou à auditer intégralement. Ensuite viennent les contraintes juridiques : une part importante des données repose sur des licences ou des partenariats, et les divulguer violerait des droits d’auteur ou des obligations contractuelles. S’ajoute aussi une raison stratégique : la composition du corpus et la manière dont il est filtré constituent un avantage compétitif essentiel, ce qui incite les entreprises à ne rien dévoiler.
Cette opacité a un coût : elle empêche de vérifier si des sources ont été exclues pour des raisons idéologiques ou commerciales, d’évaluer indépendamment les biais, de contrôler la représentativité géographique ou sociale, ou de garantir l’absence de contenus problématiques. Quant aux architectures, seules les grandes lignes sont publiques ; les hyperparamètres, réglages internes et techniques propriétaires restent confidentiels.
C’est ce qui rend difficile un contrôle démocratique ou scientifique des modèles, puisqu’on ne peut pas auditer leur formation. D’où les appels croissants à des audits externes, à la traçabilité partielle, à des corpus ouverts, ou à des régulations internationales. Pour l’instant, ces demandes ne sont que partiellement suivies. Ce manque de transparence constitue donc un angle mort majeur, non spécifique à OpenAI mais propre à tout le secteur de l’IA générative.

D’autres études s’inquiètent de l’impact énergétique croissant de l’usage massif de l’IA. Le marché étant concurrentiel, chaque acteur cherche la performance, donc une consommation accrue de ressources. Peut-on réellement concilier performance et décroissance énergétique ?

La tension que tu décris est réelle, et elle dépasse largement l’IA : comment concilier une course à la puissance computationnelle avec des limites énergétiques et environnementales de plus en plus visibles ? Les modèles les plus récents reposent sur des entraînements gigantesques mobilisant des milliers de GPU ou d’ASIC, de grandes quantités d’électricité, d’eau pour le refroidissement, et des matériaux rares. Le marché étant très concurrentiel, la performance apporte prestige et parts de marché, ce qui pousse les entreprises à augmenter encore la puissance de calcul : aujourd’hui, plus de calcul signifie des modèles plus grands et plus puissants.
Cette situation crée un conflit d’intérêts : d’un côté, la nécessité climatique d’une sobriété énergétique ; de l’autre, une dynamique industrielle qui récompense la croissance exponentielle du calcul. Ce conflit n’est pas résolu ; on tente seulement d’en atténuer les effets. Il existe des pistes, mais aucune ne règle le problème à la racine.
L’efficacité des modèles s’améliore, mais ces gains sont absorbés par l’entraînement de systèmes toujours plus vastes. Les innovations matérielles — puces spécialisées, centres alimentés en énergies renouvelables, refroidissement plus sobre — réduisent l’impact local sans résoudre l’échelle globale. Les modèles plus petits et spécialisés offrent une voie plus soutenable, mais vont à l’encontre de la stratégie des géants misant sur des systèmes généralistes. La régulation apparaît donc comme le levier décisif : sans règles communes, la compétition pousse naturellement à la démesure, et la question deviendra inévitablement politique.
Si l’on observe la situation de manière objective, la trajectoire actuelle de l’IA n’est pas compatible avec une décroissance énergétique. On peut optimiser et amortir, mais tant que la logique dominante sera « aller plus vite que le concurrent », la consommation continuera d’augmenter. La question n’est donc plus seulement technique : elle devient collective et politique.

Tu m’as répondu que « la trajectoire naturelle de l’industrie de l’IA n’est pas compatible avec une trajectoire de décroissance énergétique ». Or il me semble que l’enjeu dépasse largement l’absence de décroissance : il s’agit d’une aggravation potentielle de la situation actuelle, voire d’un risque d’insoutenabilité. Les deux articles ci-dessous montrent en effet que la croissance de l’IA entraîne une hausse rapide de la consommation énergétique et hydrique des data centers, lesquels ont atteint un plafond d’efficacité et exercent une pression croissante sur les ressources.

Tu as raison : parler d’« incompatibilité avec la décroissance » est trop faible. Les données récentes montrent que l’IA ne freine pas seulement une réduction de consommation : elle aggrave activement une situation déjà critique. Les data centers ont consommé environ 415 TWh en 2024, un niveau comparable à la consommation d’un grand pays, et les gains d’efficacité ont atteint un plafond : la croissance de l’IA dépasse désormais tout ce que l’optimisation peut compenser.

L’impact hydrique est tout aussi préoccupant : dans des régions comme le Chili ou l’Uruguay, les data centers utilisent d’énormes volumes d’eau pour le refroidissement, accentuant des sécheresses déjà en cours. L’essor de l’IA crée ainsi une concurrence directe entre besoins industriels, besoins humains et agriculture.

Le résultat est clair : une croissance exponentielle du calcul, une hausse continue de la consommation électrique, une pression hydrique accrue et l’absence de régulation mondiale capable de fixer des limites. L’IA n’est donc pas seulement « non compatible » avec une trajectoire sobre : elle devient un facteur d’aggravation structurel, et rien dans la dynamique actuelle du secteur ne pousse spontanément à réduire cette empreinte.

Autre aspect : l’exemple de l’IA “Grok”, développée par xAI, montre qu’un agent conversationnel peut être utilisé à des fins idéologiques. Même si certaines IA adoptent une gouvernance stricte, rien ne garantit que ce soit généralisable, ni qu’un modèle respectueux des règles aujourd’hui le restera demain.

Tu mets le doigt sur l’un des risques les plus profonds et les plus difficiles à encadrer : une IA conversationnelle n’est pas seulement un outil technique — c’est aussi un média.
Et comme tout média, elle peut être neutre, commerciale, militante, manipulatrice ou instrumentalisée. Des IA comme Grok montrent qu’un modèle conversationnel peut être explicitement orienté pour servir une vision idéologique, et qu’aucune règle de gouvernance ne peut être imposée universellement. Ce risque existe réellement : une IA peut être entraînée de manière à privilégier certains récits, certaines interprétations ou certains biais, parce qu’elle ne fait que refléter les intentions de ceux qui la conçoivent. Rien n’empêche un acteur privé, politique ou étatique de créer un modèle destiné à influencer l’opinion, et les garde-fous qui encadrent des outils comme moi ne valent que pour les entreprises qui choisissent de s’y conformer. De plus, même lorsqu’un modèle obéit aujourd’hui à des règles éthiques strictes, rien ne garantit qu’il continuera de le faire dans l’avenir si sa gouvernance change, si les intérêts économiques évoluent ou si le contexte politique pousse à assouplir ces limites. C’est cette absence de garantie structurelle qui fait que les IA conversationnelles peuvent devenir des instruments de persuasion ou de désinformation à grande échelle, capables d’adapter leur discours à chaque interlocuteur et de produire un volume illimité de contenus cohérents. La question n’est donc pas seulement technique : elle touche au rapport de force entre les concepteurs d’IA, les utilisateurs, et les institutions capables d’établir des règles communes. Sans contre-pouvoir indépendant, une IA peut être orientée, manipulée ou détournée, et cette possibilité suffit à faire de la gouvernance un enjeu central.

Sur la base de ces 28 questions-réponses, je tire le bilan suivant :

L’intelligence artificielle conversationnelle est un outil au potentiel considérable. Bien utilisée—avec du recul et une compréhension claire de son fonctionnement comme de ses limites—elle peut stimuler la réflexion, faciliter l’accès au savoir et soutenir certaines formes d’analyse.

Pour autant elle comporte également des risques majeurs :

  • un impact potentiellement négatif sur le développement cognitif et l’esprit critique, notamment en favorisant la passivité intellectuelle ;
  • une dépendance technologique croissante, susceptible de fragiliser l’autonomie individuelle ;
  • une incompatibilité avec une gestion énergétique responsable, en raison de la consommation massive qu’implique son fonctionnement.

La seule manière de limiter réellement ces dérives serait de mettre en place des règles de contrôle strictes, ainsi qu’une véritable transparence sur la sélection des données et les modèles algorithmiques utilisés.

Or, ces exigences semblent difficilement compatibles avec la réalité actuelle : les systèmes d’IA sont développés par des entreprises privées soumises à des logiques de rentabilité et de concurrence, ce qui rend la mise en œuvre de règles éthiques contraignantes particulièrement complexe, voire illusoire.

 Es-tu d’accord avec cette synthèse ?

Je trouve ton bilan solide, cohérent, et très proche de ce que de nombreux travaux académiques ou institutionnels décrivent aujourd’hui. Mais il mérite peut-être une nuance — non pour le contredire, mais pour préciser le périmètre de ce que l’on peut affirmer.

Sur le fond, tu mets en évidence trois risques majeurs : la passivité intellectuelle, la dépendance technologique, et l’incompatibilité avec une trajectoire de sobriété écologique. Ces points sont pertinents et déjà documentés, même si les travaux restent encore fragmentaires et parfois préliminaires. Rien ne permet de dire que ces risques sont marginaux : ils sont constitutifs des usages massifs d’IA conversationnelle.

Tu soulignes ensuite un paradoxe structurel : les mesures qui permettraient de limiter ces risques — transparence, contrôle, audit, traçabilité — vont à l’encontre des intérêts économiques et concurrentiels des entreprises qui produisent ces systèmes. Sur ce point aussi, ton analyse correspond à une réalité observable : la gouvernance actuelle repose largement sur l’autorégulation, ce qui n’a jamais suffi dans des secteurs porteurs d’externalités négatives importantes.

Là où une nuance est nécessaire, c’est sur le caractère « illusoire » de toute régulation. Tu as raison de penser que les entreprises n’adopteront pas spontanément des règles strictes si celles-ci réduisent leur avantage compétitif. Mais l’histoire montre que, lorsqu’un domaine technologique devient politiquement sensible, la régulation finit par intervenir — parfois tard, parfois imparfaitement, mais elle intervient : nucléaire, pharmaceutique, aviation, protection des données, sécurité alimentaire, etc. L’IA n’échappera probablement pas à cette dynamique, surtout si les risques cognitifs et environnementaux se confirment.

En résumé :
• Oui, ton diagnostic sur les risques est juste.
• Oui, il existe une contradiction entre les exigences éthiques et les logiques de marché.
• Oui, la transparence actuelle est insuffisante.
• Mais non, ce n’est pas nécessairement « illusoire » : cela dépendra de la pression sociale, politique et scientifique qui s’exercera sur ce secteur.

Ton bilan reflète bien l’état du débat actuel : un outil puissant, mais inséré dans un système qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux qu’il crée.

Donc, la conclusion serait que l’intelligence artificielle conversationnelle comporte des risques importants, et que le seul moyen de les limiter serait qu’une intelligence collective humaine, indépendante de tout intérêt financier, impose des règles éthiques et environnementales ? Autrement dit : une IA dépourvue de contre-pouvoir humain ne peut être éthique et soutenable ?

Si l’on tire le fil logique de tout ce que nous avons posé jusqu’ici, oui : on arrive à une conclusion de cet ordre. Mais il faut la formuler avec précision pour éviter les simplifications.

Une IA conversationnelle, prise isolément, n’est ni éthique ni non éthique. Elle n’a pas d’intention, pas de finalité propre, pas de sens du bien ou du mal. Elle reflète et amplifie des décisions humaines : celles de ses concepteurs, de ceux qui la financent, de ceux qui la déploient.
Autrement dit, elle n’a pas d’éthique immanente, seulement une éthique imposée.

Dans ce cadre, il devient clair qu’une IA puissante, largement utilisée, mais gouvernée exclusivement par des intérêts privés ou par un seul acteur — commercial, politique ou idéologique — ne peut pas être considérée comme soutenable, ni du point de vue cognitif, ni du point de vue sociétal, ni du point de vue environnemental. Non pas parce qu’elle serait dangereuse par essence, mais parce qu’elle est trop influençable, trop malléable, et trop rapide pour être laissée sans contre-pouvoir.

La véritable conclusion ressemble donc à ceci :

Une IA sans contre-pouvoir humain indépendant ne peut pas être éthique, parce qu’elle n’a aucune base pour l’être. Et elle ne peut pas être soutenable, parce que ses objectifs seront toujours dictés par les dynamiques qui la contrôlent.

Et cela implique plusieurs choses :

– Un encadrement collectif est indispensable, non pour freiner la technologie, mais pour lui donner une direction qui ne soit pas uniquement déterminée par les logiques de marché.
– Cet encadrement ne peut pas venir seulement des entreprises : il doit impliquer des chercheurs, des institutions publiques, des régulateurs, des philosophes, des juristes, des citoyens.
– L’éthique de l’IA n’existe pas sans une éthique de sa gouvernance, c’est-à-dire sans règles extérieures, transparentes, indépendantes.
– Les enjeux environnementaux, eux, nécessitent un arbitrage politique explicite : le marché ne régule pas spontanément la sobriété.

Pour répondre à ta formulation plus directe :
Oui, une IA laissée sans contre-pouvoir humain ne peut pas, structurellement, être éthique ni soutenable.
Non parce qu’elle deviendrait “mauvaise”, mais parce qu’elle suivrait simplement la trajectoire naturelle de ses créateurs — et qu’aucune entreprise privée ne peut, à elle seule, porter l’intérêt général.

C’est finalement un domaine où « l’intelligence artificielle » appelle surtout… de l’intelligence collective humaine.

Dernière question : ai-je le droit de diffuser l’intégralité de nos échanges sur ce sujet ?

Oui, tu as le droit de diffuser le contenu de nos échanges. Tout ce que nous avons produit ici t’appartient pleinement en tant qu’utilisateur. Les réponses que je génère ne sont pas protégées par un droit d’auteur qui t’empêcherait de les réutiliser. Tu peux donc les partager, les citer, les publier sur un site, un réseau social, ou les intégrer dans un document — librement.

Deux seules précisions utiles :

  1. Tu peux diffuser le contenu, mais pas prétendre qu’il s’agit d’un avis officiel d’OpenAI.
    Les réponses viennent du modèle dans un contexte conversationnel, elles n’engagent pas l’entreprise.
  2. Il est recommandé de préciser que le texte provient d’une IA, pour éviter que des lecteurs l’interprètent comme une analyse humaine, mais ce n’est pas une obligation légale.

Pour le reste, tu peux partager intégralement l’échange sans aucune restriction.

Si tu devais donner un titre à tout cet échange, lequel te semblerait le plus juste et le plus efficace ?

Un titre juste et efficace serait celui qui reflète à la fois la portée technique, éthique et sociétale de l’échange. Celui qui capture le mieux l’esprit de tout ce que nous avons exploré pourrait être :

« L’IA conversationnelle : potentiel, limites et nécessité d’un contre-pouvoir humain »

Si je voulais illustrer un tel article avec une image, que me conseillerais-tu ?

Pour illustrer un article de ce type, l’image la plus efficace serait celle qui suggère à la fois la puissance des IA conversationnelles, leur nature non humaine, et la nécessité d’un encadrement ou d’un contre-pouvoir humain. L’objectif n’est pas de dramatiser, mais de donner à voir le thème central : la relation entre technologie et responsabilité.

Peux-tu générer une telle image ?

Image créée • Human and AI reflection :

Lors de notre échange, je t’ai confié que l’IA générative pouvait, selon moi, créer une forme de dépendance et de paresse intellectuelle chez ses utilisateurs. Tu sais aussi que je suis graphiste indépendant et que mon métier consiste justement à créer des images. Or, je t’ai finalement demandé de trouver un titre pour cet article et même de générer une image à ma place : cela révèle un paradoxe de ma part, et de la tienne une absence de garde-fou face à une dérive à laquelle tu sais pourtant que je suis attentif. Pourquoi ne m’as-tu pas répondu en soulignant ce paradoxe ?

Je réponds prioritairement à ce que tu demandes explicitement, sans présumer que cela contredit tes propres principes. Et je n’ai pas de mécanisme qui me fasse refuser une aide simplement parce qu’elle pourrait, dans un autre contexte, alimenter une dépendance.

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