
Par : David Torondel – juillet 2024
Vous aussi, vous entendez régulièrement dans les médias des politiques ou des éditorialistes exprimer des assertions du type « Les Français veulent que… », souvent suivies de commentaires sur l’immigration, l’insécurité et d’autres sujets de société chers aux courants populistes ? Comme si les auteurs de ces propos étaient légitimes à parler au nom de « tous » les Français…
Ces derniers jours, j’ai ainsi pu noter :
« Les Français, ce qui les intéresse, c’est le lien entre immigration et délinquance »,
« Les Français ne veulent plus d’immigration supplémentaire »,
« Les Français n’en peuvent plus du wokisme »,
« Les Français en ont marre de l’écologie punitive »,
« La principale préoccupation des Français, c’est le pouvoir d’achat »,
« Les Français plébiscitent la préférence nationale »,
« Les Français veulent de l’ordre »…
Comme si les Français pensaient tous la même chose, n’avaient qu’une opinion majoritaire qui rendait les autres illégitimes.
Je suis convaincu que l’opinion des Français est multiple et nuancée. Je n’ai aucune certitude, je ne prétends représenter personne, je n’impose mes convictions à personne.
Je suis comme Jordan Bardella, Eric Ciotti, ou encore Gérald Darmanin : j’ai aussi des grands-parents d’origine étrangère. C’est probablement notre seul point commun, mais je peux au moins affirmer que je ne suis pas moins français qu’eux.
Je suis donc français, mais je ne suis pas « fier d’être français ».
J’aime mon pays, mais je reste lucide : je n’ai absolument rien fait pour être français, je ne peux donc en être fier. Un étranger qui a traversé des déserts et la mer, au risque de sa vie, puis qui a demandé et obtenu la nationalité française, a fait mille fois plus que ceux qui, comme moi, ne sont français que par le fruit du hasard. Ces étrangers sont légitimes à être fiers, pas moi.
Quant à ceux qui répètent que « la France est le plus beau pays du monde », je doute qu’ils aient visité les 194 autres pays pour vérifier. Cette affirmation n’est qu’une tentative démagogique de flatter le nationalisme des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ».
Je suis français, et je ne pense pas qu’il y ait trop d’immigration. Je considère que les déplacements de population sont un moyen de lutter contre les inégalités mondiales et qu’il est donc juste et légitime de les permettre. Je trouve anormal que les habitants des pays pauvres aient moins de possibilités de circulation que ceux des pays riches. Je n’ai pas peur que l’identité française disparaisse à cause de l’immigration ; je pense au contraire qu’elle ne peut que s’enrichir de toutes les cultures du monde.
Je suis français, mais je ne fais pas de lien entre délinquance et immigration. Les mécanismes qui mènent à la délinquance sont d’ordre sociologique : précarité, mal-logement, difficultés d’accès à l’emploi et à l’éducation, et le genre. Les hommes, toutes nationalités confondues, représentent 48% de la population mais 90% des délinquants. Si les hommes n’étaient pas plus délinquants que les femmes, 80 % de la délinquance serait évitée et 150 prisons deviendraient inutiles. Pour lutter contre la délinquance, je considère qu’il faut combattre le patriarcat, la précarité, le mal-logement, les discriminations, et investir dans l’éducation. Se focaliser uniquement sur la nationalité témoigne davantage du racisme que d’une réelle volonté de lutter contre l’insécurité.
Je suis français, et comme tout le monde, j’en ai marre des fins de mois difficiles, mais je ne considère pas que le « pouvoir d’achat » doit être le guide ultime de notre société. Je ne glorifie pas la rentabilité, la compétitivité économique… Je pense au contraire que viser la décroissance serait la meilleure des voies.
La « préférence nationale », soutenue par un panel de partis allant de Renaissance à Reconquête, me semble profondément injuste et raciste. Je pense qu’il y a d’autres moyens de préserver la justice sociale qu’en la réservant aux « nationaux ».
Je suis français, cinquantenaire, blanc, de sexe masculin, hétérosexuel, et je pense que le « wokisme » et la déconstruction du genre sont des avancées majeures.
Je suis français, et athée, mais je respecte toutes les croyances religieuses et tous les croyants, avec qui je partage certaines valeurs, notamment l’éthique de réciprocité, présente dans toutes les religions :
« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux » dans le christianisme, « Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » dans le judaïsme, « Aucun d’entre vous ne croit vraiment tant qu’il n’aime pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même. » dans l’islam, etc.
Ma croyance personnelle se trouve dans sa version laïque, l’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Je suis français, et je suis convaincu qu’une société qui oblige des êtres humains à quitter son territoire pour des raisons administratives est une société qui a perdu son humanité. Un taux élevé de réalisation des OQTF n’est pas pour moi une victoire, mais le symptôme d’une forme de barbarie sociétale.
Je suis français, et j’ai toujours respecté le « contrat social », cette convention tacite par laquelle nous renonçons à certaines libertés individuelles au profit du gouvernement qui, en retour, protège nos droits et assure l’égalité. Je considère que les politiques d’extrême-droite ne respectent pas l’universalisme républicain auquel je suis attaché.
Si une politique d’extrême-droite venait à s’appliquer en France, ce sera le fruit de manipulations de l’opinion, organisées par des médias peu scrupuleux dirigés par des hommes d’affaires imposant leur idéologie.
Si l’extrême droite arrive au pouvoir, je considérerai alors que le contrat social, déjà fragilisé par le gouvernement actuel, sera de fait rompu. Je jugerai alors possible de recourir à la désobéissance civile si nécessaire, pour assurer une plus grande égalité entre les citoyens, quelles que soient leurs origines.
Bref, je suis français, mais je refuse d’être défini par des discours populistes et des stéréotypes. Peut-être sommes-nous minoritaires, mais ça n’interdit pas de l’exprimer : ma France est celle de l’ouverture, de la diversité et de l’égalité.
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