Doc de travail – David Torondel – 7 avril 2023

Ces questionnements et analyses sont subjectifs. Ils ne sont à prendre que comme un avis parmi d’autres (liste de plusieurs autres analyses en fin de document).

INTRODUCTION
Les premiers échos de réforme datent de l’été 2022, des préversions du projet ont commencé à fuiter à partir de la rentrée, et un avant-projet plus complet a été déposé au Conseil d’État en décembre. La version consolidée a été officiellement enregistrée le 1er février de cette année, elle comportait 26 articles, 46 avec les ajouts du Sénat.

Première particularité : le gouvernement a demandé une « procédure accélérée » (anciennement appelée « Procédure d’urgence »). Dans une procédure législative courante, la navette parlementaire entre l’Assemblée et le Sénat n’est pas limitée, le nombre d’allers retours et de débats peuvent être nombreux, l’objectif étant la recherche d’un consensus, même si cela prend du temps. Dans une procédure accélérée, il n’y a qu’une seule navette, donc un seul examen par chambre… ce qui rend quasiment impossible l’arrivée à un consensus, ce qui aboutit donc à une « procédure de conciliation », la Commission mixte paritaire (débat interne entre 7 députés et 7 sénateurs), et enfin un vote (ou un 49.3). Emmanuel Macron l’avait annoncé dès sa campagne, il voulait faire de la procédure d’urgence la procédure par défaut, argumentant que cela aboutirait à une « accélération du travail parlementaire », ce qui peut sonner de manière positive et pragmatique… dans les faits il en résulte surtout une limitation des débats parlementaires, donc du consensus et de la construction collective de la proposition.

Autre particularité : le gouvernement fait en sorte que le projet passe d’abord par le Sénat, ce qui est tout aussi stratégique. Celui-ci étant majoritairement à droite, la seule et unique lecture à l’Assemblée était biaisée, se basant sur une version déjà durcie par le Sénat. Tout a été fait pour limiter les débats et s’attirer les faveurs de la droite.

Début mars, le projet est donc passé en première lecture au Sénat qui a, comme on le redoutait, considérablement durci le texte. Il devait ensuite passer en lecture publique mi-mars, mais lors de son allocution du 22 mars à propos de la réforme des retraites, Emmanuel Macron a annoncé un report de l’examen « de quelques semaines », en précisant que le projet global serait découpé en plusieurs textes.

Il a aussi précisé qu’il considérait qu’on « passait trop par la loi dans notre République ». Le 28 mars, lors du compte-rendu du Conseil des Ministres, Olivier Véran a confirmé en détaillant : « nous réfléchissons à découper des textes de loi, qui sont parfois très volumineux, en des textes plus courts, plus efficaces, et de regarder par voie réglementaire, c’est à dire sans forcément toujours recourir systématiquement à la loi ce qu’on peut mettre en place pour aller plus vite et de façon plus efficace ». Ce propos est potentiellement inquiétant, il peut laisser penser que le gouvernement prévoit de passer certaines dispositions directement par les voies réglementaires et non pas législatives… donc des décrets, qui échappent au contrôle parlementaire.

Le Gouvernement parle juste d’un report de quelques semaines, d’autres évoquent un report jusqu’à la rentrée… A ce jour (début avril) il est impossible de savoir précisément sous quelle forme va être présentée cette réforme, ni à quelle date, tout étant lié au climat social de la réforme des retraites.

CE QUI EST PRÉVU DANS LE PROJET :
Même si ce projet de réforme est plus réduit que la précédente, il est actuellement composé, avec les ajouts du Sénat, de 46.
Ci-dessous la liste exhaustive, avec des détails uniquement sur les points qui ont un impact potentiellement fort.

Pour ceux qui veulent plus de détails :
Dossier législatif (étude d’impact, avis du Conseil d’État, versions…) :
https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000047079143/

GISTI – Tout savoir sur la future loi asile et immigration
Genèse de la « réforme Darmanin » du Ceseda
www.gisti.org/projetdeloi2023

TITRE 1 : INTÉGRATION DES ÉTRANGERS PAR LA LANGUE ET LE TRAVAIL

Article 1 : Conditionner la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de français

Situation actuelle : Quand une personne étrangère a obtenu un titre de séjour d’un an, au moment de son renouvellement elle peut alors demander une carte de séjour pluriannuelle, qui est généralement de 4 ans (2 ans dans certains cas précis).

Pour obtenir cette carte de séjour pluriannuelle il faut :

  • Apporter la preuve que la personne a rempli le « CIR », Contrat d’Intégration Républicaine (formation civique de 4 jours, étalée sur 4 mois)
  • Avoir suivi les cours de français qui lui ont été proposés, s’il n’avait pas déjà le « niveau A1 » (qui correspond au niveau élémentaire de maîtrise de la langue française).

Pour autant, les personnes qui ont suivi les cours de français peuvent malgré tout ne pas avoir acquis le niveau demandé, ce qui ne bloque pas forcément l’obtention de la carte pluriannuelle.

 Ce qui est prévu dans le projet de loi : Le gouvernement souhaite rajouter une condition : les personnes étrangères devront apporter la preuve d’un niveau de français minimum, déterminé par décret en Conseil d’État.

Questionnements et analyse : Cette restriction peut sembler secondaire, à première vue, mais a un impact fort : obtenir un renouvellement d’un an au lieu de 4 va imposer à la personne de refaire la démarche complète, coûteuse et fastidieuse, chaque année. Le timbre fiscal est de 225€ par personne. Pour un couple avec un enfant, cela représente un surcout potentiel de 1500€.

Le niveau d’études et les capacités d’apprentissages des personnes étrangères ne sont pas uniformes, certaines auront besoin d’un accompagnement renforcé qui est déjà pris en compte, mais certains centres agréés sont déjà saturés et n’ont pas les moyens de proposer toutes les heures requises la première année. Cette problématique est d’ailleurs confirmée dans l’étude d’impact du projet de loi, « Un certain nombre de signataires en parcours longs de 400 et 600 heures ne finiront par ailleurs leur parcours horaire que l’année suivant leur entrée en formation »

Les personnes étrangères qui viennent d’obtenir un titre de séjour ont avant tout l’objectif de pouvoir travailler afin d’arriver à une indépendance financière. Il est le plus souvent impossible de cumuler emploi et formation linguistique, les horaires de cours des centres agréés n’étant pas compatibles avec les horaires de travail. Cette mesure risque donc d’aboutir à une discrimination des personnes les plus vulnérables. Enfin, fixer le niveau de langue exigé par décret en Conseil d’État est trop imprécis, cette donnée a un impact fondamental sur la portée de cette mesure, et nous semble devoir être fixée et validée par les assemblées afin que cette mesure soit votée en toute objectivité.

L’exigence d’un niveau de langue n’est légitime que si les conditions d’apprentissage de ce niveau sont réunies. Si l’objectif est d’optimiser l’intégration, la première chose à faire est d’évaluer si les centres de formation linguistiques ont les moyens nécessaires pour remplir leur mission.

Article 2 : Mettre à la charge de l’employeur une obligation de formation à la langue française

SUPPRIMÉ PAR LE SENAT

 L’objectif était de permettre aux employeurs de proposer des formations en français pour leurs salariés, considérées comme du temps de travail et financés dans le cadre du CPF (compte personnel de formation), donc partiellement financé par les employeurs.

Cette proposition a été retoquée par le Sénat, qui considère que les possibilités de formation sont déjà suffisantes (ce qui n’est pas le cas) et qui ne voulait pas faire supporter le coût de ces formations aux employeurs (probablement sous pression du patronat).

Article 2 bis, ajouté par le Sénat :  Resserrement des conditions d’acquisition de la nationalité́ au titre du « droit du sol »

 La nationalité française peut être octroyée ou acquise dans les cas suivants :

  • Un des parents au moins est Français
  • Naissance en France, et un de ses parents au moins est né en France
  • Par décret de naturalisation
  • Par déclaration : pour un mineur étranger né en France de parents étrangers, à compter de l’âge de 13 ans s’il réside en France depuis l’âge de 8 ans ;
  • De plein droit, pour les mineurs étrangers nés en France, à leur majorité s’ils ont résidé en France cinq ans depuis l’âge de 11 ans

Le Sénat a considéré que ces moyens constituaient un « facteur d’attractivité » et ont apporté 2 modifications :

  • L’acquisition de la nationalité française, pour les mineurs étrangers nés en France, ne serait plus de plein droit et automatique, ils devront, à partir de 16 ans, avoir « manifesté leur volonté » d’acquisition de la nationalité française (et toujours résider dans le pays depuis 5 ans).
  • Refus de la nationalité si le mineur a eu une condamnation pénale (égale ou supérieure à 6 mois d’emprisonnement, sans sursis).

Article 3 : Carte de séjour temporaire « métiers en tension »

Situation actuelle : La « régularisation par le travail » est déjà possible, via la « circulaire Valls ». La personne étrangère doit faire une demande d’« admission exceptionnelle au séjour » et présenter les conditions suivantes :

  • Posséder un contrat de travail ou une promesse d’embauche
  • Résider en France depuis 5 ans ou plus et avoir travaillé 8 mois sur les 2 dernières années, ou 30 mois sur les 5 dernières années. Si elle ne réside en France que depuis 3 ans, il faut justifier d’avoir travaillé pendant 24 mois, dont 8 dans les 12 derniers mois
  • Avoir un niveau minimum en Français

Même si ces conditions sont remplies, l’obtention d’un titre de séjour est à l’appréciation du préfet de département, ce qui occasionne des disparités de droits au sein du territoire national.

Ce qui est prévu dans le projet de loi :

Création d’un titre de séjour délivré de plein droit, donc de manière automatique, si la personne remplit les conditions suivantes :

  • Avoir travaillé pendant au moins 8 mois sur les 12 derniers mois, dans un métier d’un secteur dit « en tension »
  • Être présent sur le territoire depuis 3 ans

Cette mesure serait expérimentale, avec un bilan fin 2026. La liste des métiers en tension serait fixée par décret. La demande de titre serait faite directement par la personne étrangère, sans passer par l’employeur. Ce titre de séjour temporaire ne donnerait pas droit au regroupement familial, et ne serait pas ouvert aux personnes ayant travaillé en tant qu’étudiant, saisonnier ou demandeur d’asile. Si, au bout d’un an, la personne a obtenu un CDI, elle devrait pouvoir obtenir un titre de séjour salarié.

Questionnements et analyse : Même si toutes les possibilités de régularisation sont en soit positives, celle-ci relève d’une vision purement utilitariste de l’accueil des étrangers : ils ne sont autorisés à travailler et résider en France que s’ils acceptent d’occuper un emploi en manque de personnel, donc que les Français ne souhaitent pas faire.

Doit-on parler de « régularisation par le travail », ou de « régularisation par l’exploitation provisoire » ?

Le projet initial de la réforme prévoit qu’à l’examen de la demande, les Préfectures feront une étude de la situation administrative de l’employeur… qui risquerait au passage une amende administrative de 4000€. Cette amende administrative, nouvelle sanction proposée dans le projet de loi, a été supprimé par amendement lors du passage au Sénat, mais il reste des sanctions possibles (l’emploi de ressortissants étrangers dépourvus d’une autorisation de travail est puni de cinq ans d’emprisonnement en vertu du code pénal).

Cette proposition institutionnalise une aberration kafkaïenne : aujourd’hui, il faut apporter la preuve d’avoir travaillé illégalement pour pouvoir ÉVENTUELLEMENT être autorisé à travailler légalement. Avec cette proposition, le travail illégal deviendrait une CONDITION IMPOSÉE pour accéder au droit de travailler.

Ce projet de nouveau titre pose aussi plusieurs questions sur ses limites et sa fiabilité : que se passerait-il si le métier exercé sort de la liste des métiers en tension ? L’intérim serait-il pris en compte ?

Lors de la présentation initiale du projet, M. Dussopt a indiqué que cela devrait permettre de régulariser « plusieurs dizaines milliers de personnes ». Devant les critiques de la droite, il a rectifié en annonçant que cela n’en concernerait que « quelques milliers ». Dans les faits, la liste des métiers en tension doit faire l’objet d’une mise à jour et n’est pas encore définie. Donc si l’hôtellerie, ou la restauration, par exemple, n’y figurent pas, cela ne pourrait concerner que quelques centaines, voire dizaines de personnes. Il est en fait, à ce stade, impossible d’évaluer le nombre de bénéficiaires potentiels : cette approximation n’est pas sans rappeler celle du nombre de retraités potentiellement bénéficiaires de la « retraite minimum à 1200€ », du même Olivier Dussopt.

Ce projet de nouveau titre de séjour, présenté comme une avancée pragmatique, semble en réalité vouée à l’échec. Refusée par la droite et l’extrême-droite, qui y voient de manière erronée une mesure laxiste et un risque d’« appel d’air », le gouvernement n’aurait vraisemblablement pas de majorité sur cette proposition. Au mieux, ou au pire, il risque d’être vidé de sa substance : pour le rendre « acceptable » aux yeux de la droite, le gouvernement risque d’en durcir encore les conditions d’accès, au point de le rendre inopérant, et le bilan à la fin de l’expérimentation montrera que cela n’aura permis que de régulariser quelques dizaines de personnes…

Autre hypothèse : comme le souhaitait initialement Mme Borne, cette proposition va être supprimée du projet de loi et le gouvernement va se contenter d’un décret élargissant ou précisant les conditions de l’admission au séjour exceptionnel, par le travail, qui permet déjà de régulariser environ 7000 personnes chaque année… mais qui reste un mode de régularisation arbitraire et inégal au sein du territoire.

Article 4 : Accès au travail pour certains demandeurs d’asile

 Situation actuelle : Les demandeurs d’asile en cours de procédure peuvent obtenir une autorisation de travail si, au bout de 6 mois de procédure, ils n’ont pas encore eu leur premier entretien d’asile à l’OFPRA.

Dans les faits, ça n’a concerné, en 2022, que 1,1% des demandeurs d’asile. En effet, sur les 103 000 demandeurs, 4250 ont pu faire une demande et les Préfectures n’ont accordé ce droit que pour moins d’un tiers des demandes, soit 1143 personnes.

Ce qui est prévu dans le projet de loi : L’accès à l’autorisation de travail serait accordé dès le début de la procédure mais uniquement aux demandeurs originaires de pays avec un taux de protection “fort”, dont le seuil serait fixé par décret.

Questionnements et analyse : La détermination du seuil en question aurait un impact fort sur le nombre de personnes concernées.

Par exemple : Si le taux retenu est à 75%, en se basant sur les chiffres de 2021, cela ne concernerait que la Chine et la Syrie, soit 2000 personnes au total.

Si le seuil est fixé à 70%, se rajoute l’Afghanistan (10 000 pers.) et le Soudan du Sud (30 pers.).

Si le seuil est fixé à 60%, se rajoute l’Érythrée (1000 pers.) et la Jamaïque (16 pers.).

Si le seuil est fixé à 50%, cela concernerait environ 14500 personnes.

Pour certains pays le taux varie fortement entre les sexes… Si le seuil est fixé uniformément à 75%, les 1300 femmes afghanes en seraient exclues, alors qu’elles ont un taux d’accord de 92%.

Accorder des droits à certaines nationalités, sans tenir compte des situations individuelles, pose la question de la discrimination par nationalité… ce qui constitue un véritable paradoxe : certaines personnes font des demandes d’asile parce qu’ils sont discriminés dans l’accès à l’emploi dans leur pays d’origine, à cause de leur nationalité, ethnie ou genre.

Le Sénat n’est pas revenu sur la proposition, mais a soulevé plusieurs éléments : certains ont, comme d’habitude, évoqué le risque d’appel d’air (malgré le nombre réduit de personnes potentiellement impactées), et les difficultés à « éloigner » les demandeurs d’asile en emploi, si ces derniers sont finalement déboutés dans leur demande. Il a également été soulevé le fait que les employeurs potentiels pourraient se retrouver dans l’illégalité si le demandeur d’asile débouté ne l’informe pas de sa situation.

Cette mesure semble poser plusieurs soucis de mise en œuvre et être potentiellement discriminante. Il semblerait plus juste et équitable que, si un droit au travail est accordé aux demandeurs d’asile, il doit l’être pour tous, sans discriminations.

Article 5 : Conditionner le statut d’auto-entrepreneur à la preuve de la régularité du séjour

supprimé par le Sénat

 Situation actuelle : Il semble qu’actuellement les étrangers extra-européens, sans titres de séjour et autorisation de travail, peuvent s’installer en tant qu’auto-entrepreneurs et exercer une activité, notamment dans le secteur des livraisons de repas (Uber…).

Le Sénat a considéré que la proposition n’était pas utile, la législation actuelle précisant que la validité du titre de séjour était déjà inscrite dans la législation pour les auto-entrepreneurs.

Article 6 : Réformer les passeports « talent »

Situation actuelle : Le « passeport talent » est une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans, délivrée à certains demandeurs, dont la résidence en France constitue un atout économique pour le pays (jeunes diplômés salariés, chercheurs, artistes, investisseurs économiques… 11 catégories en tout).

 Ce qui est prévu dans le projet de loi : Fusionner certains types de « passeport talent » en un titre de séjour : « Talent porteur de projet ».

Article 7 : Création d’une carte de séjour « talent professions médicales et de la pharmacie »

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Création de 2 cartes de séjour pluriannuelles, pour les praticiens ayant un diplôme hors UE, afin de leur donner une autorisation d’exercice provisoire.

Article 8 : Amende administrative pour les employeurs d’étrangers sans-papiers – supprimé par le Sénat

Situation actuelle : Les employeurs qui emploient un étranger ne disposant pas de titre l’autorisant à travailler sont déjà passibles de différentes sanctions pénales et administratives.

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Ajout d’une sanction administrative (4000€ par employé), pouvant être délivrée par les Préfectures. Le Sénat a supprimé cet article, considérant que les sanctions administratives existantes étaient déjà possibles.

Titre II : AMÉLIORER LE DISPOSITIF D’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS REPRÉSENTANT UNE MENACE GRAVE POUR L’ORDRE PUBLIC

Article 9 et 10 : Faciliter l’expulsion d’étrangers en situation régulière ayant commis des infractions graves

Situation actuelle : L’expulsion est une mesure administrative qui permet d’éloigner durablement un étranger dont le comportement « constitue une menace grave pour l’ordre public », qu’il soit ou non en situation régulière sur le territoire national. Il existe actuellement des conditions de « protection contre l’expulsion » (parent d’enfant français mineur, conjoint de français, résidant en France depuis plus de 20 ans, etc.)

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Ajout d’une dérogation à l’impossibilité d’expulser (condamnation définitive à au moins 10 ans d’emprisonnement) et la mise en place d’ITF (interdiction de retour sur le territoire français).

Article 11 : Permettre la prise d’empreintes par coercition

Situation actuelle : Le relevé d’empreintes et la photographie ne peuvent pas s’effectuer sous la contrainte, même si c’est considéré comme un délit (passible d’un an de prison, 3750€ d’amende et 3 ans d’interdiction du territoire).

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Autoriser le recours à la contrainte. Le Sénat a renforcé les sanctions en cas de refus.

Article 11 ter (ajouté par le Sénat) : Fichage des personnes se déclarant mineures, impliquées dans des infractions à la loi pénale

Article 12 : Mettre fin à la présence de mineurs de 16 ans dans les centres de rétention administrative

 Situation actuelle : Le droit français permet la rétention d’un mineur s’il accompagne un adulte faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, « pour la durée la plus brève possible ».

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Interdire le placement en rétention de mineurs de 16 ans.

Questionnements et analyse : Le but avoué est plus pour optimiser la rétention que pour protéger les mineurs, comme l’a indiqué Darmanin lors de son audition au Sénat : « il vaut mieux concentrer nos moyens sur l’expulsion des étrangers délinquants en situation irrégulière plutôt que sur celle des étrangers en situation irrégulière qui ne sont pas délinquants » / « nombre de places sont réservées aux familles alors qu’elles pourraient être libérées en faveur de délinquants étrangers, qui sont, à 98 %, des hommes ».

Article 12 bis (ajouté par le Sénat) : Refus d’un contrat jeune majeur à une personne faisant l’objet d’une OQTF

 Quand un mineur isolé étranger a été pris en charge par l’ASE du département, une fois arrivé à la majorité il peut éventuellement bénéficier d’un « contrat jeune majeur », qui est un accompagnement vers l’autonomie et permet au jeune de bénéficier d’une aide financière et du suivi par un éducateur, jusqu’à ses 21 ans. A 18 ans, il doit aussi faire une demande de titre de séjour auprès de la Préfecture. Celle-ci refuse souvent ce titre de séjour, en se basant sur des éléments parfois arbitraires, comme la présence d’un visa ou d’une déclaration de majorité dans un autre pays. Il y a par exemple beaucoup de jeunes qui sont passés par l’Espagne, où ils se sont déclarés comme étant majeurs afin d’avoir un accompagnement plus avantageux pour eux… d’autres se sont déclarés majeurs au moment de leur demande de visa, toujours pas commodité, bref ils ont « trichés » à l’envers, en se faisant passer pour des majeurs alors qu’ils sont bien mineurs. Arrivés à la majorité, les Préfectures cherchent tous les moyens possibles pour contester leur minorité, même quand celle-ci a été reconnu préalablement par le département et la justice. Ils refusent donc la délivrance du titre de séjour et prononcent une OQTF.

Le Sénat souhaite qu’en cas de délivrance de cette OQTF ils ne puissent plus bénéficier du « Contrat jeune majeur ».

Article 13 : Refus ou le retrait d’un titre de séjour en cas de rejet des principes et valeurs de la République française, ou de menace grave pour l’ordre public

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Permettre le refus ou le retrait de tout document au séjour en cas de menace grave pour l’ordre public ou de rejet des principes de la République, ainsi énumérés : « la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution (drapeau, hymne, devise) et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers ».

TITRE III : SANCTIONNER L’EXPLOITATION DES MIGRANTS ET CONTRÔLER LES FRONTIÈRES

Article 14 : Durcir les sanctions contre l’entrée et du séjour d’étrangers en situation irrégulière

Situation actuelle : Actuellement, toute personne qui « facilite ou tente de faciliter, par aide directe ou indirecte, l’entrée ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ou sur le territoire d’un autre État de l’espace Schengen » est passible d’une amende de 30 000 € et d’une peine de 5 ans de prison.

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Dans le cas où ces actes seraient commis en « bande organisée » et « dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures », les peines encourues passeraient à 1 M€ d’euros et quinze ans de prison. Pour les « dirigeants » et « organisateurs » de ces réseaux, les peines passeraient à 1,5 M€ et vingt ans de prison.

Questionnements et analyse : L’article 823-9, qui fixe le cadre des exceptions, serait maintenu, donc l’aide à l’entrée et au séjour, si elle se fait sans contrepartie financière, dans un but humanitaire, ne pourrait pas donner lieu à des poursuites. Pour rappel, il a fallu de nombreux combats juridiques pour empêcher la condamnation de femmes et d’hommes qui, par souci d’humanité, venaient en aide à des personnes étrangères. (cf. Décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet qui a donné une valeur constitutionnelle au principe de fraternité à la suite d’une saisine de Cédric Herrou).

Il faut combattre et condamner lourdement les réseaux mafieux, quels qu’ils soient, qui exploitent et mettent en danger les hommes, femmes et enfants souhaitant entrer en Europe. Mais se contenter de les condamner, sans se poser la question du mécanisme qui permet à leur commerce mortifère de se développer, est insuffisant. De fait, c’est le refus de donner des visas aux ressortissants de certains pays et la fermeture des frontières extérieures de l’Union européenne qui est la source du commerce des réseaux de passeurs. Pas besoin de passeurs quand il y a des voies régulières de migration.
En tant que citoyens européens, nous pouvons nous rendre dans près de 180 pays souvent sans même avoir besoin d’un visa, en toute sécurité, en avion et pour une somme relativement faible. Un Soudanais ou un Afghan, eux, ne pourront accéder qu’à une vingtaine de pays sans visa, et aucun de ces pays n’est européen. Le continent européen est le continent le plus mortifère pour les personnes migrantes : près de 50 000 morts depuis la fin des années 90.
Ce sont les pays européens qui, en fermant leurs frontières, en refusant d’ouvrir des voies légales d’immigration (alors que les voies légales d’émigration nous sont largement ouvertes), génèrent et alimentent ces commerces mafieux. Augmenter la criminalisation n’occultera jamais la responsabilité des États-membres dans la mort à nos frontières de milliers d’hommes, femmes et enfants. 

Article 15 : Durcir les sanctions contre l’habitat indigne

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Les personnes en situation irrégulières seraient considérées comme des « personnes vulnérables » au yeux de la législation, ce qui permet de renforcer les sanctions contre les « marchands de sommeil ».

Questionnements et analyse : Tout comme pour le durcissement des sanctions contre les passeurs, cette mesure est faussement humanitaire : l’objectif n’est pas tant de mieux protéger les sans-papiers que de dissuader les hébergeurs à leur proposer un logement.

Article 16 : Obligation de contrôle documentaire des transporteurs (évolution liée à la réglementation européenne)

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Obligation pour les transporteurs de contrôler les autorisations de voyage des étrangers non soumis à l’obligation d’obtenir un visa. Le manquement à cette obligation est sanctionné d’une amende de 10 000 euros.

Article 16 bis (ajouté par le Sénat) : Suppression du jour franc avant d’être réacheminé en cas de refus d’entrée sur le territoire

Article 17 : Permettre l’inspection visuelle des véhicules particuliers par la police judiciaire en zone frontalière

Article 18 : Encadrer le refus de visa aux étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF au cours d’un séjour antérieur

 Ce qui est prévu dans le projet de loi : Ajouter un motif de refus de visa d’entrée, pour les personnes étrangères ayant fait par le passé l’objet d’une OQTF, qu’ils n’auraient pas respectée.

TITRE IV : ENGAGER UNE RÉFORME STRUCTURELLE DU SYSTÈME DE L’ASILE

Article 19 : Création de pôles territoriaux « France Asile »

Situation actuelle : Actuellement, quel que soit l’endroit où la personne a enregistré sa demande d’asile, quel que soit l’endroit où elle est hébergée, elle doit se rendre à Fontenay-Sous-Bois (Val-de-Marne) pour un entretien à l’Ofpra. Elle doit y expliquer sa situation, ce qui déterminera l’accord ou le rejet à sa demande de protection, en première instance.

L’Ofpra est un établissement public administratif, initialement placé sous la tutelle administrative du ministère des Affaires étrangères. Ce n’est que depuis 2010 que l’Ofpra est placé sous la tutelle financière et administrative du ministère de l’Intérieur, mais la loi précise bien qu’il y a une indépendance fonctionnelle : « L’office exerce en toute impartialité les missions mentionnées ci-dessus et ne reçoit, dans leur accomplissement, aucune instruction. »

Le Conseil d’État lui-même a rappelé, en 2014, que l’Ofpra n’était pas un service pouvant recevoir des instructions du ministère de l’Intérieur.

Aujourd’hui, les rôles de l’Ofpra et des préfectures sont donc bien distincts et indépendants.

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Le gouvernement propose l’ouverture progressive de centres « France Asile » dans toutes les régions, via une décentralisation de l’Ofpra, afin que les demandes d’asile puissent être étudiées dans chaque région.

Questionnements et analyse : Telle qu’est formulée la proposition dans le projet de réforme, ces nouveaux pôles « France Asile » seraient non seulement dédiés aux entretiens menés par l’Ofpra, mais auraient aussi pour mission l’enregistrement officiel de la demande d’asile, actuellement effectué par les préfectures au sein des Guichets uniques pour demandeurs d’asile (Guda).

Cette mesure induirait donc que les bureaux de l’Ofpra se trouveraient physiquement dans les préfectures, ou directement liés. Cela s’inscrit dans un vaste mouvement initié depuis une vingtaine d’années visant à concentrer la politique d’immigration entre les mains du seul ministère de l’Intérieur alors qu’auparavant certaines missions relevait du ministère des affaires sociales (hébergement notamment) ou des affaires étrangères (questions des visas par exemple).

Par conséquent, la mise en place de ces pôles « France Asile » ressemble plus à une tentative de mise sous tutelle de l’Ofpra par le ministère de l’Intérieur, lui retirant son indépendance constitutive.

Le Sénat a néanmoins approuvé, mais a demandé que la mesure soit expérimentale, sur 4 ans et dans 10 départements.

Article 19 bis (ajouté par le Sénat) : Extension des cas dans lesquels l’OFII est tenu de retirer ou de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d’accueil

 Situation actuelle : Les conditions matérielles d’accueil (allocation et logement) peuvent actuellement être suspendues dans certains cas : refus d’orientation vers la région proposée par l’OFII, en cas de réexamen de la demande d’asile, absence aux entretiens…

Le Sénat a proposé de généraliser le retrait ou suspension des CMA à tout manquement à ses obligations du demandeur d’asile.

Article 19 quater (ajouté par le Sénat) : Impossibilité du maintien, des personnes déboutées du droit d’asile dans un hébergement accordé au titre du dispositif national d’accueil

Situation actuelle : Les demandeurs d’asile qui ont bénéficié d’un logement (ce qui ne représente que la moitié des cas), doivent quitter leur logement au plus tard 1 mois après la notification de refus de demande d’asile. Certains se maintiennent dans les locaux, n’ayant d’autres solutions d’hébergement. Le Sénat souhaite ajouter dans la loi la possibilité d’une saisine de justice afin d’obtenir l’évacuation… ce qui existe déjà et qui est fréquemment le cas.

Article 20 : Réforme de la CNDA

Situation actuelle : Actuellement, tous les recours devant la Cour Nationale du Droit d’asile (CNDA) sont jugés à Montreuil, en Seine-Saint-Denis.

Ce qui est prévu dans le projet de loi : Comme pour l’OFPRA, le gouvernement souhaiterait décentraliser les audiences et faire en sorte qu’elles puissent se tenir dans les Cours administratives d’appel, en région.
Le gouvernement souhaite aussi généraliser les audiences avec un juge unique et non plus devant une formation collégiale, comme c’est le cas actuellement dans une majorité de cas (après avoir plafonné à 30 % du total des audiences en 2019, les décisions avec un juge unique ne sont plus que de 17 % en 2021).

Questionnements et analyse : La collégialité engendre des délais d’attente avant audience plus longs, du fait de la difficulté à réunir les juges. Une systématisation des audiences à juge unique permettrait de réduire ces délais, mais cela risque de se faire au détriment de l’objectivité des jugements (la collégialité assurant une diversité de points de vue et un minimum de discussion entre les juges). L’argument avancé est que cela permettrait de réduire les délais d’attente… or le Canard enchainé a révélé que depuis le début de l’année la CNDA est… à court de dossiers : la cause en reviendrait aux processus de dématérialisation de l’OFPRA, inaccessible à un certain nombre de demandeurs, qui ne déposeraient pas leur recours dans les temps. La CNDA a expliqué avoir constaté une augmentation de 30% du nombre de dossiers rejetés car hors-délai, au dernier semestre 2022.

Article 20 bis (ajouté par le Sénat) : Possibilité de suspension de la vidéo-audience à la CNDA en cas de difficulté technique

TITRE V : SIMPLIFIER LES RÈGLES DU CONTENTIEUX (ENTRÉE, SÉJOUR, ÉLOIGNEMENT)

Articles 21 à 23 (et 23bis ajouté par le Sénat) : Réformer le contentieux administratif des étrangers

Cette rubrique est la plus délicate à analyser : certaines associations voient cette simplification de manière positive, tout en s’inquiétant des garanties procédurales.

Sans rentrer dans les détails, la réforme propose de réduire le nombre de recours possibles en cas d’OQTF, avec des arguments largement mensongers : Darmanin a répété dans les médias qu’il y avait une quinzaine de recours possibles contre les OQTF, ce qui permettait aux étrangers de multiplier les recours et se maintenir sur le territoire. En réalité, s’il existe bien une douzaine de recours possibles, ils correspondent à des situations différentes, une seule personne ne peut déposer que 2, voire 3 recours, sur des éléments bien distincts (assignation à résidence, l’OQTF elle-même, l’interdiction de retour…).

L’argument invoqué du faible taux d’exécution d’OQTF en France, comparé aux autres pays européens, est lui aussi pernicieux : la France délivre plus d’OQTF que ses voisins européens, mais elle le fait sur des justifications qui ne sont pas pertinentes, ce qui explique assez logiquement le fort taux d’annulation.

Le projet de réforme propose de rallonger certains délais de recours et d’en raccourcir beaucoup d’autres. Un grand nombre de délais de jugement seraient également réduits, ce qui réduit d’autant le temps de préparation pour les étrangers et leurs avocats. Le projet prévoit aussi de réduire le nombre de cas de jugement avec collégialité.

Il est clairement à craindre que cette prétendue « harmonisation et simplification » ne soit finalement qu’un nivellement par le bas des délais et possibilités de recours, au détriment des étrangers, d’autant que le Sénat a tenté de durcir encore plus les propositions.

Article 24 : Étendre les possibilités d’audience vidéo pour les étrangers en zone d’attente ou en CRA

Article 25 : Porter le délai de jugement de maintien en zone d’attente de 24h à 48h en cas de placement simultané dans une même zone d’un nombre important d’étrangers

Cette mesure a été proposée suite à l’accueil de l’accueil de l’Ocean Viking, à Toulon, où une grande partie des personnes ont été « sorties » de la zone d’attente par la justice, à cause des délais trop court de jugement.

TITRE VI : DISPOSITIONS DIVERSES ET FINALES

Article 26 : Habilitation à légiférer par ordonnance pour adapter les dispositions du projet de loi à l’Outre-mer

TITRE II BIS – (ajouté par le Sénat) – AGIR POUR LA MISE EN OEUVRE EFFECTIVE DES DÉCISIONS D’ÉLOIGNEMENT

Article 14 A : Restrictions à la délivrance de visas

Le Sénat considère qu’il doit être possible de moduler l’aide au développement de certains pays, s’ils manquent de coopération dans la délivrance de laisser-passer consulaires (nécessaires pour finaliser une expulsion).

Article 14 B : Information des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi des décisions d’OQTF et obligation de radiation une fois la décision devenue définitive

D’après certaines auditions, certains étrangers, sous OQTF, pouvaient continuer à percevoir temporairement certaines allocations. Le Sénat souhaite que les préfets informent des décisions d’éloignement les organismes de sécurité sociale et Pôle Emploi qui seront tenus de les radier.

Article 14 C : Extension de la durée maximale d’assignation à résidence

Passage de 90 à 13 jours la durée maximale d’assignation à résidence en cas d’OQTF.

TITRE 1ER A – (ajouté par le Sénat) – MAÎTRISER LES VOIES D’ACCÈS AU SÉJOUR ET LUTTER CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Article 1A : Débat annuel au Parlement et détermination d’un nombre d’étrangers admis au séjour

Le Sénat propose que soit organisé chaque année un débat au Parlement, dans l’objectif de fixer des quotas d’immigration.

Articles 1er B et 1er C : Resserrement des conditions ouvrant le bénéfice du regroupement familial

 Situation actuelle : Le regroupement familial est déjà subordonné à plusieurs conditions :

  • Séjourner régulièrement depuis 18 mois
  • Justification de ressources stables et d’un logement adapté
  • Condition d’intégration

Ce qui est prévu dans le projet de loi par le Sénat :

  • Porter la condition de séjour de 18 à 24 mois
  • Disposer d’une assurance maladie pour la personne et sa famille
  • Justifier d’une condition de « régularité » des ressources financières
  • Maîtrise minimale du français pour les personnes bénéficiaires, avant même leur arrivée… ce qui est impossible à vérifier.

Article 1er D : Regroupement familial : contrôle par les communes du respect des conditions de résidence et de ressources

Outre le durcissement des conditions, le Sénat demande que soit renforcé le contrôle du respect de ces conditions par les maires. Si les mairies ne répondent pas, l’OFII serait autorisé à solliciter une visite domiciliaire.

Articles 1er E et 1er F : Renforcement des conditions d’accès au titre dit « étranger malade »

Situation actuelle : La personne étrangère, pour bénéficier du titre de séjour « étranger malade », doit cumuler 2 conditions :

  • Son état de santé doit nécessiter « une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité »
  • Ne pas avoir un « accès effectif aux soins » dans son pays d’origine

Ce qui est prévu dans le projet de loi, pour le Sénat : Le Sénat souhaite durcir la 2e condition : il ne serait plus demandé seulement le défaut « d’accès effectif », mais une « absence de soins » dans le pays d’origine. C’était déjà plus ou moins le cas dans les faits, mais ce serait désormais fixé dans la loi. De plus, pour les personnes étrangères bénéficiant de ce titre de séjour, les traitements apportés seraient financés par l’assurance maladie, publique ou privée, du pays d’origine de la personne. Enfin, il serait désormais permis aux médecins de l’OFII (en charge d’évaluer le bien-fondé de la demande de titre de séjour) de demander les informations médicales aux professionnels de santé qui soignent la personne, sans l’accord de la personne !

Article 1er G : Contrôle du caractère réel et sérieux des études

Le Sénat propose que l’étudiant ait une obligation de justifier son niveau et le sérieux de ses études. Dans le cas contraire, le titre de séjour pourrait être retiré. Si l’étudiant ne transmet pas ses résultats, ceci pourrait justifier le retrait de son titre.

Article 1er H : Expérimentation de l’instruction « à 360° » des demandes de titres de séjour

Le Sénat propose une expérimentation intitulée « instruction à 360° » : le principe serait que l’autorité administrative, donc la Préfecture, ne fassent que des examens de demande de titre de séjour sur tous les fondements possibles. Concrètement, si une personne demande un titre de séjour salarié, la Préfecture examine non seulement les critères relatifs à ce titre (contrat de travail…), mais aussi tous les autres critères relatifs aux autres titres de séjour (pour soins, vie privée vie familiale, humanitaire, etc.).

S’il y a refus de titre de séjour, la décision de refus vaudrait pour tous les types de titres de séjour.

La personne ne pourrait plus, ensuite, déposer de demande de titre de séjour sur un autre critère, sauf élément nouveau survenu depuis la décision initiale.

Ceci induit que la personne qui dépose une demande de titre de séjour devra préparer et fournir les justificatifs pour TOUS les cas de figure.

Article 1er I : Transformation de l’aide médicale d’État en aide médicale d’urgence

Le Sénat propose de transformer l’AME en « aide médicale d’urgence », avec plusieurs restrictions :

  • La prise en charge ne serait possible que pour les situations de santé les plus graves
  • Le financement des soins pourra être recouvré auprès des personnes « tenues à l’obligation alimentaire » (enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, parents, grands-parents, arrière-grands-parents, gendres et belle-fille)

Article 1er J : Exclusion des étrangers en situation irrégulière des réductions tarifaires accordées par les autorités de transport aux personnes à faibles revenus.

Cet inventaire de tous les articles proposés dans la réforme démontre clairement que ce projet présente un réel danger pour les droits des étrangers. La proposition initiale du Gouvernement était déjà inquiétante, et les sénateurs sont entrés dans une surenchère répressive assez ahurissante. L’Assemblée nationale devrait être moins outrancière, mais il ne faut pas oublier que l’extrême-droite dispose de 87 sièges et va probablement surenchérir aussi.

Elisabeth Borne s’étant engagé à ne plus utiliser le 49.3, hors loi financière, il est à craindre que le Gouvernement, pour s’assurer de faire passer ces mesures, ne soit « obligés » d’accepter certaines mesures les plus négatives et de supprimer les quelques mesures qui laissaient entrevoir de potentielles avancées, pourtant déjà très minces. Tout ceci est donc très inquiétant et appelle à une mobilisation importante afin d’essayer de contrer ce projet de réforme. Demander aux parlementaires de déposer des amendements afin de réduire la nocivité des mesures semble vain, l’objectif est d’obtenir un retrait du projet global (ou des différents textes s’ils sont scindés en plusieurs propositions).

A noter que la mobilisation pour contrer cette réforme française ne sera qu’une étape. La réforme de la loi européenne, désignée comme le « Pacte européen sur la migration et l’asile », s’annonce extrêmement restrictive. Les discussions sont en cours et s’enlisent depuis des années, mais l’objectif initial était d’arriver à une adoption début 2024. Même si cet objectif semble difficilement tenable, il faut s’attendre à une reprise des discussions sous peu, d’où une vigilance nécessaire également au niveau européen.