
Dernière mise à jour : 30 mars 2023
SITUATION ACTUELLE
La «régularisation par le travail» est déjà possible, via la «circulaire Valls». La personne étrangère doit faire une demande d’«admission exceptionnelle au séjour» et présenter les conditions suivantes :
- Posséder un contrat de travail ou une promesse d’embauche
- Résider en France depuis 5 ans ou plus et avoir travaillé 8 mois sur les 2 dernières années, ou 30 mois sur les 5 dernières années. Si elle ne réside en France que depuis 3 ans, il faut justifier d’avoir travaillé pendant 24 mois, dont 8 dans les 12 derniers mois
- Avoir un niveau minimum en Français
Même si ces conditions sont remplies, l’obtention d’un titre de séjour est à l’appréciation du préfet de département, ce qui occasionne des disparités de droits au sein du territoire national.
CE QUE PROPOSE LA RÉFORME
Création d’un titre de séjour délivré de plein droit, donc de manière automatique, si la personne remplit les conditions suivantes :
- Avoir travaillé pendant au moins 8 mois sur les 12 derniers mois, dans un métier d’un secteur dit «en tension»
- Être présent sur le territoire depuis 3 ans
Cette mesure serait expérimentale, avec un bilan fin 2026. La liste des métiers en tension serait fixée par décret. La demande de titre serait faite directement par la personne étrangère, sans passer par l’employeur. Ce titre de séjour temporaire ne donnerait pas droit au regroupement familial, et ne serait pas ouvert aux personnes ayant travaillé en tant qu’étudiant, saisonnier ou demandeur d’asile. Si, au bout d’un an, la personne a obtenu un CDI, elle devrait pouvoir obtenir un titre de séjour salarié.
ANALYSE ET QUESTIONNEMENTS
Même si toutes les possibilités de régularisation sont en soit positives, celle-ci relève d’une vision purement utilitariste de l’accueil des étrangers : ils ne sont autorisés à travailler et résider en France que s’ils acceptent d’occuper un emploi en manque de personnel, donc que les Français ne souhaitent pas faire.
Doit-on parler de « régularisation par le travail », ou de « régularisation par l’exploitation provisoire » ?
Le projet initial de la réforme prévoit qu’à l’examen de la demande, les Préfectures feront une étude de la situation administrative de l’employeur… qui risquerait au passage une amende administrative de 4000€. Cette amende administrative, nouvelle sanction proposée dans le projet de loi, a été supprimé par amendement lors du passage au Sénat, mais il reste des sanctions possibles (l’emploi de ressortissants étrangers dépourvus d’une autorisation de travail est puni de cinq ans d’emprisonnement en vertu du code pénal).
Cette proposition institutionnalise une aberration kafkaïenne : aujourd’hui, il faut apporter la preuve d’avoir travailler illégalement pour pouvoir ÉVENTUELLEMENT être autorisé à travailler légalement. Avec cette proposition, le travail illégal deviendrait une CONDITION IMPOSÉE pour accéder au droit de travailler.
Ce projet de nouveau titre pose aussi plusieurs questions sur ses limites et sa fiabilité : que se passerait-il si le métier exercé sort de la liste des métiers en tension ? L’intérim serait-il prit en compte ?
Lors de la présentation initiale du projet, M. Dussopt a indiqué que cela devrait permettre de régulariser «plusieurs dizaines milliers de personnes». Devant les critiques de la droite, il a rectifié en annonçant que cela n’en concernerait que «quelques milliers». Dans les faits, la liste des métiers en tension doit faire l’objet d’une mise à jour et n’est pas encore définie. Donc si l’hôtellerie, ou la restauration, par exemple, n’y figurent pas, cela ne pourrait concerner que quelques centaines, voire dizaines de personnes. Il est en fait, à ce stade, impossible d’évaluer le nombre de bénéficiaires potentiels : cette approximation n’est pas sans rappeler celle du nombre de retraités potentiellement bénéficiaires de la «retraite minimum à 1200€», du même Olivier Dussopt.
CONCLUSION
Ce projet de nouveau titre de séjour, présenté comme une avancée pragmatique, semble en réalité vouée à l’échec. Refusée par la droite et l’extrême-droite, qui y voient de manière erronée une mesure laxiste, la majorité n’aurait vraisemblablement pas de majorité sur cette proposition. Au mieux, ou au pire, il risque d’être vidé de sa substance : pour le rendre « acceptable » aux yeux de la droite modérée, la majorité actuelle risque d’en durcir encore les conditions d’accès, au point de le rendre inopérant, et le bilan à la fin de l’expérimentation montrera que cela n’aura permit que de régulariser quelques dizaines de personnes…
Autre hypothèse : comme le souhaitait initialement Mme Borne, cette proposition va être supprimée du projet de loi et le gouvernement va se contenter d’un décret élargissant ou précisant les conditions de l’admission au séjour exceptionnel, par le travail, qui permet déjà de régulariser environ 7000 personnes chaque année.
Quelles seraient les alternatives possibles ?
Sans doute Darmanin devrait-il s’inspirer de l’expérience de ses prédécesseurs, notamment de Charles Pasqua qu’il qualifiait il y a peu comme « Un grand serviteur du gaullisme. Un grand politique. »
En 1993, Charles Pasqua était ministre de l’intérieur et à l’origine d’une réforme de la loi particulièrement restrictive. 5 ans après, il en tirait le bilan suivant : « Nous nous trouvons donc devant un problème que nous devons traiter avec pragmatisme et responsabilité, en fonction de l’intérêt national, en essayant de surmonter nos débats idéologiques ou politiques. (…) Si on explique les choses aux Français, ils sont capables de les comprendre. (…) La question est simple : ces gens partiront-ils ? Evidemment non. D’abord parce que, même clandestins, ils sont mille fois mieux ici, étant donné que dans leur pays, ils n’ont rien.(…) Le gouvernement doit donc trancher autrement. Je comprends qu’il ait peur de le faire pour des raisons politiques. Je ne fais pas preuve d’angélisme mais de pragmatisme. (…) On ne peut en sortir qu’en régularisant la totalité des personnes qui en ont fait la demande. »
Tout est dit : la régularisation de tous les sans-papiers n’est pas une mesure idéologique, mais une mesure de pragmatisme, de responsabilité et de courage politique.
Pour aller plus loin :
Immigration : les questions que pose le titre métiers en tension
Claire Rodier
https://www.alternatives-economiques.fr/claire-rodier/immigration-questions-pose-titre-metiers-tension/00106025
Le volet « travail » de la réforme : une vraie nouveauté ?
https://www.gisti.org/spip.php?article6972